La crise intérieure d’un jeune étudiant qui refuse soudain de continuer à vivre et entame volontairement une existence solitaire et indifférente. Coupant tous les contacts avec son entourage, il découvre la fascination de l’observation interminable des objets : un mur, un arbre, un jeu de cartes. Les gestes usuels, se vêtir, se nourrir, lire le journal, perdent toute signification. De longues promenades dans Paris, des haltes dans les bars, son mutisme lui permettent de poser un autre regard sur les êtres et les choses.
France, Tunisie, 1973, noir et blanc, 93 min.
Réalisation et scénario : Georges Perec, Bernard Queysanne d’après l’œuvre de Georges Perec. Image : Bernard Zitzermann. Son : Jean-Pierre Ruh. Musique originale : Philippe Drogoz, Eugénie Kuffler. Montage : Andrée Davanture, Agnès Molinard. Production : Dovidis, Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographiques. Avec : Jacques Spiesser (le jeune homme), Ludmila Mikaël (la voix).
L’insolite m’attire… Mais à la question « qu’est-ce que l’insolite ? » je n’ai pas de réponse. Je n’en ai pas d’autre que celle qui le définit communément comme l’inhabituel. Je sais cependant qu’il se découvre, comme le fantastique se crée, s’exprime, en donnant à l’image émouvante une signification ressentie mais dont on ne perçoit pas le sens. Il est l’inconnu, le vide hanté, l’in-action. Il suscite l’émotion et l’angoisse. […] Il est dans Un homme qui dort par l’image, c’est-à-dire par la fascination, l’irréalité retrouvée de la photographie monochromatique, noire et blanche, par la parole et par les accords image-parole, une manifestation de la beauté dont on peut affirmer qu’elle commence là où l’analyse s’arrête.
Georges Franju, Positif n° 159, mai 1974, p. 57.
Né en 1944
Bernard Queysanne fait ses premiers pas dans le cinéma aux côtés de réalisateurs comme Georges Franju, Philippe Labro, Robert Enrico, Serge Korber en tant qu’assistant-réalisateur, photographe de plateau ou directeur de production. Il raconte avoir rencontré Georges Perec en 1968 ou 1969 à un moment où ce dernier se trouve dans une période sentimentale compliquée. Il est aussi en train d’écrire La Disparition au Moulin d’Andé. Les liens amicaux qu’ils entretiennent sont jalonnés de plusieurs traces audiovisuelles. À partir de 1970, Queysanne collabore aux Chroniques de France. Parmi la bonne dizaine de sujets que Queysanne réalise, Perec écrit le commentaire du sujet sur le Foyer international d’accueil de Paris (Chroniques de France n° 95, 1973). Ce tournage leur permet de tester des longs travellings dans les rues de Paris. Plus tard, Perec collabore à celui consacré à Gustave Flaubert (Chroniques de France n° 120, 1975). En 1977, ils écrivent ensemble un téléfilm, L’Œil de l’autre, réalisé par Queysanne, où une employée de banque est convaincue d’être en permanence épiée par les caméras de surveillance.
Si on retient surtout de sa filmographie Un homme qui dort, Prix Jean-Vigo 1974, les années 1970 sont particulièrement fécondes pour Queysanne. En 1976, il signe Le Diable au cœur. Jacques Spiesser y interprète une sorte de cousin de l’étudiant qui rompait les amarres avec le monde – un moment de déambulation dans les rues de Paris et d’attente dans un café fait directement écho à Un homme qui dort –, amoureux transi de la babysitter de ses petites sœurs (Jane Birkin) qu’il lutine quelque peu et dont il éveille les sens en lui lisant à haute voix des passages de Histoire de l’œil de Georges Bataille, dans l’édition Pauvert de 1967, celle avec sa maquette sous forme d’étui rose frappé d’une vignette représentant un œil. Quand il découvre qu’elle a cédé aux avances de son père, il tue celui-ci et séquestre la jeune femme dans une maison de campagne, où ils finissent par se livrer à des jeux sexuels inspirés en partie par le roman de Bataille.
Queysanne convainc moins avec L’Amant de poche (1978), un conte de fées moderne, improbable comédie sentimentale dans laquelle une call-girl de grand luxe (irrésistible Mimsy Farmer) tombe amoureuse d’un adolescent de quinze ans. À peu près au même moment, il réalise six épisodes de 52 minutes, Les Quatre Cents coups de Virginie, diffusés à partir de décembre 1979 sur TF1. La réalisation télévisuelle finit par primer avec un certain nombre de téléfilms, dont Mademoiselle B. (1985) d’après Maurice Pons, et des documentaires, des portraits d’écrivains, dont deux réalisés en 1999 pour une Thema d’Arte consacrée à Perec.
Jacques Kermabon