Le boulanger Aimable Castanier vient s’installer dans le petit village provençal de Sainte-Cécile où depuis des générations les habitants entretiennent des rancunes aussi mesquines que stupides. Dès sa première fournée de pain, Aimable fait la conquête de tous : jamais ils n’ont mangé du pain aussi bon. Sa très jeune femme, Aurélie, tient la caisse, discrète et silencieuse. Mais une nuit elle s’enfuit avec Dominique, le berger du marquis de Venelles.
France, 1938, noir et blanc, 135 min.
Réalisation : Marcel Pagnol. Scénario et dialogues : Marcel Pagnol, d’après une nouvelle de Jean Giono. Image : Georges Benoît, Roger Ledru. Son : Marcel Lavoignat. Musique originale : Vincent Scotto. Montage : Marguerite Renoir, Suzanne de Troeye, Jeannette Ginestet. Production : Les Films Marcel Pagnol. Avec : Raimu (Aimable Castanier), Ginette Leclerc (Aurélie Castanier), Fernand Charpin (le marquis de Venelles), Robert Vattier (le curé), Édouard Delmont (Maillefer), Maximilienne Max (Melle Angèle), Robert Bassac (l’instituteur), Marcel Maupi (Barnabé), Alida Rouffe (Céleste, la bonne), Paul Dullac (Casimir), Charles Moulin (Dominique, le berger).
Aussi bien dans la construction de l’intrigue que dans l’écriture des dialogues et l’interprétation, Pagnol est le champion de « l’un et du multiple », de la description de l’individu et du groupe reliés entre eux par des liens vrais et profonds. Autour de Raimu vit ici tout un peuple de personnages et d’acteurs qui sont, dans le propos de l’auteur, aussi importants que lui. Chez Pagnol, l’ironie et la compassion, la précision et le pittoresque du trait, en un mot le réalisme, servent à cerner l’individu. Quand il s’agit du groupe et de sa solidarité cachée (laquelle représente, autant que les malheurs du boulanger, le vrai sujet du film), Pagnol se laisse aller à la rêverie, au lyrisme, peut-être même à l’utopie.
Jacques Lourcelles, Dictionnaire des films. Des origines à 1950, Bouquins éditions, 2022, p. 444.
1895 I 1974
Parce qu’il est issu d’une lignée d’instituteurs, l’écrit et la parole ont pour le jeune Marcel Pagnol une importance capitale. Sa pièce Topaze, histoire d’un maître d’école qui se voit licencié pour avoir été trop honnête, lui ouvre les portes du succès en 1928. Dès lors qu’il devient parlant, Pagnol développe une vive curiosité pour le cinéma : il y voit l’opportunité de donner une plus large audience à ses pièces. Durant plus de vingt ans, son œuvre théâtrale se confond avec sa filmographie. S’il confie les scénarios et dialogues de Marius (1931), de Fanny (1932) et de Topaze (1932) à des réalisateurs de renom, il ne manque pas de s’attribuer la paternité de leur immense succès public, ce qui lui permet de faire construire à Marseille son propre studio de cinéma. Ses films sont le dit et le reflet de la Provence où il est né, et à laquelle il restera fidèle sa vie durant : ils ne doivent rien à la convention des personnages mais tout à l’universalité d’une culture qu’il saisit à sa source. Toute son œuvre, dont Pagnol puise parfois l’inspiration dans la littérature de son condisciple provençal Jean Giono, raconte l’histoire de gens qui expriment leur vérité au-delà du mensonge qui les condamne, entre comédie et tragédie. On a souvent caricaturé Pagnol en habile exploitant du folklore méridional. Il est pourtant un cinéaste bien plus complet et moderne qu’on l’a dit. Son relatif mépris de la technique, sa grande liberté dans la direction des acteurs, sa fidélité aux comédiens, son attachement à la terre à laquelle il donne une présence inoubliable, sa façon de laisser l’image parler d’elle-même quand le dialogue s’épuise, tout cela fait de Pagnol l’un des premiers « auteurs » du cinéma français.
Vincent Vatrican