C’est en Irlande au IXe siècle, dans l’abbaye fortifiée de Kells, que vit Brendan, un jeune moine de douze ans. Avec les autres frères, Brendan aide à la construction d’une enceinte pour protéger l’abbaye des assauts réguliers des Vikings. Sa rencontre avec frère Aidan, célèbre maître enlumineur et « gardien » d’un livre d’enluminures fabuleux mais inachevé, va l’entraîner dans de fantastiques aventures. Aidan va l’initier à l’art de l’enluminure pour lequel il révélera un talent prodigieux.
The Secret of Kells – France, Irlande, Belgique, 2008, couleur, 75 min.
Réalisation : Tomm Moore, Nora Twomey. Scénario : Fabrice Ziolkowski d’après une idée originale de Tomm Moore. Musique originale : Bruno Coulais. Direction artistique : Ross Stewart. Montage : Fabienne Alvarez-Giro. Animation : Tomm Moore, Barry Reynolds. Production : Les Armateurs, Cartoon Saloon, Vivi Film, France 2 Cinéma. Avec les voix de : Robin Trouffier (Brendan), Dominique Collignon-Maurin (Aidan), Clara Poincaré (Aisling), Feodor Atkine (l’abbé Cellach), Jim Adhi Limas (frère Tang).
Voici la nouvelle production des Armateurs, ceux qui ont réinventé l’animation française ces dernières années avec des films comme Kirikou ou Les Triplettes de Belleville, en réconciliant créativité débridée, héritage culturel et succès public. Aussi inattendu que l’étaient la mythologie africaine pour le premier et la France populaire des années 1950 pour le second, le contexte de Brendan et le secret de Kells est la fabrication du Livre de Kells, chef-d’œuvre de l’art religieux médiéval, au IXe siècle, dans une Irlande en proie aux invasions vikings. L’originalité et la beauté du film tiennent au fait que son esthétique s’inspire de celle des enluminures du livre en question […]. Cette iconographie luxuriante transforme un récit d’apprentissage des plus classiques en une épopée fabuleuse où se croisent les influences du christianisme primitif et de la mythologie païenne.
Isabelle Regnier, lemonde.fr, 10 février 2009.
Tomm Moore est né à Newry en 1977, dans le comté de Down, en Irlande du Nord, c’est à Kilkenny, en république d’Irlande, où sa famille déménage très tôt, qu’il rejoint les Young Irish Film Makers, une société de formation et de production cinématographique créée en 1991 pour aider les jeunes de treize à vingt ans à réaliser des films. Il y affirme ses connaissances et sa passion pour le cinéma et l’animation. Après ses études secondaires, il étudie l’animation classique au Ballyfermot College of Further Education à Dublin et, lors de sa dernière année, en 1999, cofonde le studio d’animation Cartoon Saloon avec Paul Young et Nora Twomey.
La société produit et coproduit séries animées, courts et longs métrages, notamment ceux de Nora Twomey (Parvana, une enfance en Afghanistan, 2017 ; Le Dragon de mon père, 2022) et de Tomm Moore, auteur de ce qui constitue une trilogie consacrée au folklore irlandais, des récits d’apprentissage, des confrontations de mondes, des fables magnifiées par des dessins aux couleurs luxuriantes. Après Brendan et le secret de Kells (2008, coréalisé avec Nora Twomey), qui entremêle références au Livre de Kells, un des plus somptueux manuscrits enluminés de l’époque médiévale, et légendes celtiques, Tomm Moore passe de la forêt mystérieuse aux volutes de l’océan et aux mythes marins avec Le Chant de la mer (2013). Un jeune garçon et sa sœur, qui vivent avec leur père en haut d’un phare sur une petite île, sont envoyés vivre en ville par leur grand- mère pour les éloigner des dangers de la mer. L’enfant découvre que sa petite sœur est, comme leur mère disparue, une selkie, créature mythologique mi-femme mi-phoque dont le chant a un pouvoir magique. Fable sur la disparition, la tristesse du deuil, la fraternité, ce conte initiatique s’inspire visuellement des tracés rupestres, des formes circulaires pour, selon Moore, signifier « parfois un sentiment de bien-être et de protection, parfois un sentiment d’angoisse, d’emprisonnement et de piège ».
Dans Le Peuple loup (2019, coréalisé avec Ross Stewart), une enfant de onze ans est amenée à remettre en question la conception de son père, chasseur de loups sous les ordres d’un seigneur, quand elle rencontre dans la forêt une jeune fille à la crinière rousse qui vit au cœur d’une meute et peut prendre la forme de cet animal. L’histoire se déroule à Kilkenny en 1650, époque marquée par un affrontement culturel fort quand les Anglais, ayant conquis l’Irlande, cherchent à la « civiliser » en défrichant les forêts. La figure du dirigeant autoritaire insensible à la valeur de la nature, la confrontation à l’altérité animale confirment la fibre environnementale du réalisateur. À propos de ce film, on a évoqué Gustav Klimt et Alfons Mucha. Pour Le Chant de la mer, Moore a parlé de l’influence de Paul Henry, postimpressionniste irlandais, mais a aussi cité des artistes plus contemporains comme Paul Klee, Vassily Kandinsky, Jean-Michel Basquiat. On peut apprécier ce travail plastique par l’entremise d’images fixes ; Tomm Moore a adapté ses films en bandes dessinées.
Jacques Kermabon