Le cinéma serait devenu, dit-on, un plaisir rare : celui du divertissement, qui n’est plus synonyme de distraction, mais de détournement des esprits du tracas quotidien. Sans doute, mais le cinéma se résume-t-il à cela ? Riche de mille nuances, il est aussi et surtout le plus beau moyen d’expression pour décrire en mots et en images la nature humaine, ses colères et ses passions, pour présenter le monde comme il est, le sentir, le révéler. Il faut poursuivre la route, donner à voir ce que le cinéma fait de meilleur, et savoir se renouveler. Notre programme change donc sa formule, dont la plus visible transformation est sans doute son rythme saisonnier. Pourquoi ? Pour l’adapter à son objet, le cinéma, en constante évolution.
Dévoiler sans trop en dire : voilà l’enjeu de cette brochure qui réunit désormais, chaque trimestre, le calendrier de tous les rendez-vous cinématographiques, en replaçant les films et leurs auteurs au centre du jeu, au-delà des labels, des cycles et des affinités. Évolution ne signifie pas changement de doctrine : le champ des sommaires reste inépuisable et nous continuons à afficher nos coups de cœur, à explorer le cinéma avec la même exigence, et le sentiment précieux de retenir quelque peu la course effrénée du temps.
C’est précisément sur la vitesse et l’énergie que se fonde La Dame du vendredi d’Howard Hawks (1939), l’un des joyaux de la comédie américaine. Pour les dialogues de ce film, le cinéaste avait demandé à ses acteurs d’accélérer leur débit devant les caméras. Comme le vent agite le feuillage des arbres, les paroles fusent, claquent, rebondissent, s’envolent. Elles sont le véritable carburant de l’action et poussent les personnages dans leurs derniers retranchements. Avec une précision de maître horloger, le cinéaste tient jusqu’au bout le tempo de cette satire féroce du journalisme, d’une acuité toute contemporaine, qui illustre à merveille la jeunesse du cinéma d’Howard Hawks.
Venu d’un pays lointain, mais financé par des capitaux français, All We Imagine as Light de Payal Kapadia, Grand Prix du Festival de Cannes 2024, déploie un récit au féminin en restant à la lisière du conte et de la fresque sociale. Quelques notes de couleurs suffisent à brosser le portrait en demi-teinte d’une ville-monde, Bombay, et celui de trois femmes solitaires, aux parcours contrariés, qui rêvent de s’extraire de cette bouillonnante capitale pour gagner de plus calmes rivages. La cinéaste filme la ville comme une mer, tout est rythmé comme le va-et-vient des vagues, cette mer toujours recommencée. La nuit, les lumières, le mouvement des êtres humains, le flux indifférent de la vie se conjuguent au présent, fusionnent comme seul élément de spectacle. Le film étonne par sa douceur, par sa dimension esthétique, une toile abstraite qui se passerait de mots. Tout à l’air anodin et pourtant une sensation étrange sommeille : un profond désir d’expérimentations qui fait fi des conventions narratives et incite à la contemplation, à la suspension des choses et du temps. La magie de ce film envoûtant, tropical et radical rappelle la manière des grands cinéastes-sorciers.
Hier, aujourd’hui, le cinéma palpite encore.
Jacques Kermabon et Vincent Vatrican