Des cinéastes, comme Johan Van der Keuken, se sont emparés de la légèreté du format pour filmer eux-mêmes et proposer une œuvre documentaire unique. Autour de la projection de deux films courts du cinéaste néerlandais, Vincent Sorrel décrira comment la pratique du cinéaste évolue en fonction des différentes caméras portables qu’il a utilisées pour filmer avec le corps et entrer en synchronicité avec les êtres et les choses.
Regards en synchronicités
La première caméra de Johan Van der Keuken est une Bolex H 16. Avec cette petite caméra amateur qui permet de filmer à la main, le cinéaste tâtonne pour chercher les bords du cadre, à l’image de l’enfant aveugle qui est d’abord sensible à ce qu’il touche. JVDK est un cinéaste inquiet qui pense que la réalité ne peut pas être fixée sur pellicule. La Bolex fait du bruit et empêche d’enregistrer le son en même temps que l’image mais ce défaut de la caméra impulse du rythme et rend le cinéaste plus sensible aux chaos du réel. Faire fonctionner l’appareil avant de voir L’Esprit du temps (1968) nous permettra de mieux comprendre l’influence sonore de la caméra sur la réalisation de ce film qui s’intéresse à une jeunesse musicienne et révoltée. À la fin des années 1970, Van der Keuken acquiert une Aaton et la caméra devient une plume. Avec le film To Sang Fotostudio, il s’intéresse à la mise en scène en demandant au photographe de faire le portrait des autres commerçants de la rue d’Amsterdam dans laquelle il travaille. Dans le studio de prise de vue de M. To Sang, l’ergonomie de la caméra dévoile le visage du cinéaste ce qui lui permet d’échanger des sourires avec celles et ceux qu’il filme pour mieux les engager dans son tournage. JVDK croit à « la mystique de la caméra » : filmer est un acte d’amour, une force vitale et un désir. C’est avec sa femme Noshka Van der Lely à la prise de son qu’ils envisagent ce tournage documentaire comme un espace charnel.
Vincent Sorrel
Les films programmés
L’Esprit du temps de Johan Van der Keuken (Pays-Bas, 1968, 42 min)
1968 a été une année de bouleversements. La caméra du cinéaste capte « l’état d’esprit » de cette époque en pleine mutation où la jeunesse, découvrant la lutte contre la violence sociale et politique, l’intériorise pour la diriger vers une exploration de perceptions et d’émotions personnelles, en dehors du cadre rigide et utilitariste de la société : mouvement hippy, lutte contre la guerre du Vietnam…To Sang Fotostudio de Johan Van der Keuken (Pays-Bas, 1997, 32 min)
De nombreuses nationalités sont représentées dans la rue d’Amsterdam où le photographe M. To Sang a son magasin : le magasin de perruques « Hollywood Hair » tenu par des Hollandais originaires du Surinam, le Saree Centre pakistanais, l’agence de voyage surinamienne « Capricho », l’épicerie hollandaise « Woestenburg », la bijouterie chinoise « Sang Sang » ou le restaurant kurde « Lokanto Ceren ». Les propriétaires ont tous décidé de se faire photographier par M. To Sang et c’est ce processus qu’a filmé Johan Van der Keuken.
Johan Van der Keuken
Né à Amsterdam le 4 avril 1938, il s’initie à la photographie dès l’âge de 12 ans et publie son premier livre photo à 17 ans. En 1956, il obtient une bourse et entre à l’Idhec à Paris. Il développe depuis, simultanément, une activité de photographe et de cinéaste. L’artiste réalise, entre 1960 et 2000, une cinquantaine de films (courts, moyens et longs métrages), qui font de lui l’une des grandes figures du cinéma documentaire. Il y entremêle fiction, reportage, journal intime, cinéma expérimental et y propose une réflexion sur l’engagement, la relation à l’autre, le sentiment d’appartenance au monde. Ses films ont fait l’objet de nombreuses rétrospectives dans la plupart des festivals et cinémathèques à travers le monde. À l’été 2023, la galerie du Jeu de paume a rendu hommage au photographe et cinéaste disparu en 2001, à travers une grande rétrospective intitulée Johan van der Keuken, le rythme des images.
Réservation conseillée – Droit d’entrée : 5€