RFA, 1980, couleur, 120 min., vostf.
Réalisation : R.W. Fassbinder. Scénario : R.W. Fassbinder, Manfred Purzer, d’après le roman Der Himmel hat viele Farben de Lale Andersen. Avec : Hanna Schygulla (Willie Bunterberg), Giancarlo Giannini (Robert Mendelsson), Mel Ferrer (David Mendelsson), Karl-Heinz von Hassel (Hans Henkel), Erik Schumann (Erich von Strehlow), Hark Bohm (Taschner).
En 1938, l’ombre de tragiques événements plane sur Zurich. Robert, musicien de talent, et Willie, chanteuse de cabaret, s’aiment passionnément. Pourtant Robert s’absente mystérieusement pour de fréquents séjours en Allemagne. Un beau jour, sur son insistance, il l’emmène à Munich. Elle découvre qu’il transporte des fonds destinés à des organisations juives.
Rarement comme ici […], Fassbinder aura fait étalage avec tant de maestria de sa science des mouvements de caméra, de sa direction d’acteurs, de son goût pour le décor kitsch souligné par de savants face-à-face avec les miroirs. On pourrait hurler à la sophistication si la forme, comme chez Ophuls, n’était en accord avec le propos : les arabesques voltigeantes et vertigineuses de son œil malin sont là pour signifier qu’en ces temps d’holocauste, tout n’est encore qu’opérette. Et qu’hommes et femmes se débattent comme des insectes dans un labyrinthe où personne ne peut garder les pieds sur terre.
Jean-Luc Douin, Télérama n°1631, 15 avril 1981, p. 22.
Rainer Werner Fassbinder
1945 • 1982
Accomplie dans l’effort et la frénésie créatrice, avec le concours d’une troupe de comédiens, complices, amis, amants, martyrs, son œuvre demeure celle d’un cinéaste en colère, écorché vif, « non réconcilié » avec son pays, qui a cherché sa vie durant à brosser le portrait critique d’une nation qui s’est refait une virginité au lendemain de la guerre en éliminant les encombrants symboles du passé. Chez Fassbinder, le réalisme coexiste avec un sens du tragique, un goût du dérisoire et de la confession, assez paradoxal, qui en fait peut-être le seul véritable auteur de mélodrame du cinéma allemand. Il extirpe de la foule des anonymes, des hommes et des femmes en mal d’amour comme de reconnaissance, qui n’ont ni la force ni les moyens de se défendre contre les faux-semblants de la société et parvient à en faire des héros de cinéma. Entier, excessif, boulimique, Fassbinder disparaît à seulement trente-sept ans, après avoir réalisé plus de quarante films.
Vincent Vatrican