Restauration en 4K à partir de deux marrons nitrates. Travaux numériques et photochimiques réalisés par le laboratoire Hiventy (Transperfect Media France).
Dans un royaume imaginaire, au jour anniversaire de la mort du roi, la reine se refuse à assister aux cérémonies organisées à cette occasion par l’archiduchesse qui s’est emparée du pouvoir. Pour échapper à la police qui le poursuit, Stanislas, un anarchiste, se réfugie dans la chambre de la jeune veuve. Il ressemble étrangement au roi défunt et veut tuer la reine, qui représente pour lui la tyrannie. Or, Stanislas découvre une femme qui n’est pas loin d’avoir sa propre façon de penser.
France, 1947, noir et blanc, 95 min.
Réalisation : Jean Cocteau. Scénario : Jean Cocteau d’après sa pièce. Dialogues : Jean Cocteau. Image : Christian Matras. Son : René Longuet. Musique originale : Georges Auric. Directeur artistique : Christian Bérard. Décors : Georges Wakhevitch. Costumes : Marcel Escoffier. Montage : Claude Ibéria. Effets spéciaux : Nicolas Wilcke. Production : Les Films Ariane, Sirius Films. Avec : Edwige Feuillère (la reine), Jean Marais (Stanislas), Jean Debucourt (le duc Félix de Willenstein), Silvia Monfort (Edith de Berg), Jacques Varennes (le comte de Foehn), Yvonne de Bray (la présidente), Edward Stirling (Adams), Gilles Quéant (Rudy), Ahmed Abdallah (Toni), Maurice Nasil (Gentz).
Cet admirable drame est mis en scène dans la simplicité la plus excessive, c’est-à-dire que le réalisateur ose sans cesse simplifier à l’extrême ce qui semblait appartenir au baroque, au romantisme et à la fièvre. Dire que son regard est froid serait mentir. Il place sa caméra dans les coulisses et observe les mystères qu’il a feint d’organiser. En fait, il assiste en tant que premier spectateur au drame dont il fut l’un des instigateurs. L’étonnant est qu’on ne peut savoir s’il regarde l’histoire qu’il a écrite, la pièce de théâtre qu’il cinématographie ou le jeu des acteurs par rapport à ces deux choses. Je pense personnellement que Cocteau fait tout cela à la fois. Il lâche deux monstres sacrés face à face, non pas pour qu’ils se dévorent mais pour qu’ils détruisent, usent complètement les personnages qu’ils ont à jouer. Il en résulte une épuration à l’inverse du procédé de La Belle et la Bête. Ces personnages pseudo-historiques, brinqueballés dans une invraisemblable histoire, deviennent des êtres vivants, respirant, s’aimant au-delà de leur comédie et de la tragédie.
Noël Simsolo, La Saison cinématographique 1971, p. 5.
1889 I 1963
Excepté La Belle et la Bête (1945), le grand public connaît mal l’œuvre filmée de Jean Cocteau. Bien qu’elle soit courte, qu’on la juge solitaire ou lointaine, elle occupe assurément une place centrale dans le cinéma français, source inépuisable d’inspiration. Nourrie des mêmes thèmes, des mêmes obsessions que l’ensemble des activités artistiques exercées par Cocteau, habitée par la même frénésie créatrice, la même recherche d’absolu, la même « difficulté d’être ». Alors que tant de cinéastes tombent dans le piège de la littérature, l’écrivain, qui n’a jamais appris le métier, traite dès le début le cinéma comme un art à part entière, qu’il place sous les auspices de Georges Méliès plutôt que des frères Lumière. Pour exister, ce cinéma a besoin des artifices du merveilleux, comme les machineries féeriques du cirque, de la fête foraine, de miroirs magiques, de métamorphoses. Les films de Cocteau n’illustrent pas ses livres, ils sont une autre manière d’écrire, parce que « l’encre de lumière » montre ce que les mots ne peuvent que suggérer. Cocteau voit le cinéma comme une création artisanale, la langue d’expression suprême : de la même manière qu’il fait de la « poésie de théâtre » ou de la « poésie de roman », il fabrique avec ses mains de la « poésie de cinéma ». Pour lui, les trucages, les traversées de miroirs, les statues animées ont pour vocation d’affirmer la « réalité de l’irréel ». Du Sang d’un poète (1930) au Testament d’Orphée (1959), Cocteau esquisse une sorte de parabole sur la place et la destinée du poète parmi les hommes, effaçant la frontière qui sépare le temps de l’éternité. À la fois Orphée et Heurtebise, Cocteau redonne vie aux mythes et au sacré pour survivre au monde « irrespirable du visible ». La fascination qu’exerce son œuvre repose peut-être sur l’aspect nocturne et souterrain d’un univers qui semble rongé par la malédiction et les paradoxes, que seule la beauté des mots et des images peut encore sauver.
Vincent Vatrican